Pour les pédologues, le sol est « la formation naturelle de surface, à structure meuble, d’épaisseur variable (de quelques centimètres à quelques mètres), résultant de la transformation de la roche-mère sous-jacente, sous l’influence de divers processus physiques, chimiques et biologiques » (Demolon, 1952). Pour les agronomes, le sol est avant tout « la couche superficielle occupée par les racines et susceptible d’assurer le développement des végétaux » (Dejou et Morizet, 1996). Le sol est aussi un milieu abritant des organismes vivants et de la matière organique (environ 2 tonnes de matière vivante à l’hectare pour des horizons superficiels de sols fertiles, sans compter une masse équivalente de vers de terre). Dans ce chapitre, nous considérons le sol uniquement sous l’angle de ses propriétés physiques et de son rôle en tant que réservoir d’eau pour les plantes.
Le sol est un milieu triphasique : il contient en proportions variables une phase solide (argiles, limons, sables, matière organique, cailloux, concrétions variées), une phase liquide (eau, substances dissoutes), et une phase gazeuse (oxygène, azote, gaz carbonique ...). C’est aussi un milieu poreux organisé et complexe dans lequel on distingue de multiples niveaux d’organisation (Fig. 1) : des niveaux macroscopiques (couches superposées ou horizons définis par les pédologues) et des niveaux microscopiques (structure lamellaire des minéraux argileux). Entre ces niveaux d’assemblage, qui vont de quelques mètres parfois (épaisseur exceptionnelle d’un horizon) jusqu’au nanomètre (les espaces entre les feuillets d’une argile), existent des vides (pores) dont la géométrie est complexe et les dimensions extrêmement variées. La géométrie de ces pores varie aussi du fait des variations de volume liées à l’état hydrique du sol, d’autant plus importantes que le sol est riche en argile et que ces dernières présentent des propriétés de gonflement-retrait, d’où les fentes de retrait visibles dans un sol argileux asséché. Le sol est donc à la fois un milieu divisé par la présence de ces vides à différentes échelles, potentiellement déformable et partiellement continu par la présence de sa fraction solide.
Figure 1. Schéma des niveaux d’organisation dans un sol. En haut : trois horizons, chacun ayant une texture et une structure particulière. Le premier est sablo-limoneux, riche en matière organique, avec de petits cailloux. Le second est limono-argileux avec des mottes et des agrégats bien individualisés. Le troisième est occupé par une roche-mère plus ou moins altérée, au-dessus de la roche mère proprement dite. En bas : organisation à l’échelle microscopique du premier horizon. Des agrégats (limon et sable) forment le squelette et sont en grande partie ceinturés par un revêtement d’argile, appelé plasma et par des fissures. Ces fissures et les pores (en noir) créés par les racines déterminent la porosité structurale. (D’après Bruand et Prost, 1987). |
Le sol évolue constamment aux plans physique, chimique et biologique. Cette évolution s’opère naturellement et peut être accentuée par l’action humaine. Cette évolution se fait à des vitesses extrêmement variables, ce qui différencie principalement les constituants minéraux et organiques.
• La phase solide du sol est constituée pour une grande part de minéraux et de matière organique dont la teneur tend à décroître avec la profondeur. Dans la plupart des sols, dans la durée, la fraction minérale du sol provient soit de la désagrégation et de l’altération des roches sous-jacentes, soit d’apports liés à de l’érosion hydrique (colluvions et alluvions par exemple) ou à des apports éoliens comme les lœss. Au cours du temps apparait généralement une différenciation verticale par évolution ou dissolution de ses composants, argiles et carbonates en particulier. Simultanément on peut observer un transfert vertical des particules les plus fines entrainant la différenciation en horizons appauvris ou enrichis en argiles. Il en résulte une superposition de matériaux plus ou moins poreux ou compacts, plus ou moins filtrants ou imperméables qui forment le sol sur toute son épaisseur.
Les matières organiques issues des plantes sont d’abord fragmentées puis décomposées dans les sols. Les composés enrichis en carbone et provenant de la décomposition des organismes végétaux et animaux ainsi que de l’activité de la microflore du sol, réagissent avec les argiles, Ils forment des complexes argilo-humiques qui peuvent avoir des influences multiples sur les propriétés du sol (rétention de l’eau, propriétés d’échange en cations, rétention de macromolécules diverses et d’éléments trace, cohésion des assemblages minéraux, mouillage). L’assemblage des éléments les plus fins, regroupés sous le nom d’argile forme ce qu’on appelle le plasma argileux. L’une de ses propriétés essentielles est son aptitude à retenir l’eau. A côté on trouve des éléments bien plus volumineux (10 à 1000 fois plus), formés par des limons et des sables : ils constituent ce qu’on nomme le squelette. La phase solide est donc constituée d’un squelette entouré par une pâte argileuse, le plasma, sorte de ciment entourant des éléments bien plus gros.
• La phase liquide est une solution aqueuse (appelée solution du sol) dont la composition est à la fois très riche et variable. Les solutés sont majoritairement des sels minéraux (ou électrolytes)[2] avec des concentrations faibles de l’ordre de 10-5 à 10-2 mol l-1 ce qui correspond à des pressions osmotiques de l’ordre de 0,025 à 25 kPa respectivement. Certains sont en équilibre dynamique avec la phase solide.
L’équilibre entre la phase solide et l’eau du sol dépend de nombreux paramètres qui varient dans le temps (teneur en eau et température principalement) qui influent sur l’activité biologique et les nombreuses et complexes réactions chimiques impliquées.
La concentration de la solution du sol absorbée par les racines est très dépendante de l’état hydrique du sol et des mouvements de l’eau dans le sol. Durant l’hiver, le gel de la phase liquide des sols des pays tempérés et septentrionaux peut interdire l’absorption racinaire.
• La phase gazeuse (on parle d’atmosphère du sol) est constituée par un mélange dont la composition varie dans le temps et avec la profondeur. On y retrouve, mais en proportions différentes, les mêmes gaz que ceux de l’atmosphère et d’autres, tels que NO, NH3, CH4, etc. De multiples facteurs, dont l’activité biologique, agissent en effet sur la composition de cette phase. La teneur en O2 est généralement proche de celle de l’air (10 à 20% contre 20,9 % dans l’atmosphère). En revanche, la concentration en CO2 est, du fait de l’activité des micro-organismes, bien plus élevée : 0,3 à 3% (3000 à 30 000 vpm ; vpm : volume par million) contre 0,04% (400 vpm) dans l’atmosphère actuelle (Calvet, 2003). La teneur en CO2 augmente avec la profondeur, alors que celle de O2 diminue.
Comme la diffusion des gaz est bien plus rapide en phase gazeuse qu’en phase liquide (les coefficients de diffusion en phase gazeuse sont supérieurs d’un facteur 104), la présence contigüe d’eau liquide représente un obstacle au transport des gaz, de l’oxygène en particulier. C’est la raison pour laquelle les sols très hydratés ou saturés en eau constituent des milieux anaérobies dans lesquels les racines fonctionnent très mal, sauf adaptations particulières. Certains éléments comme le fer ferreux ou le manganèse peuvent alors passer en solution et devenir toxiques pour les plantes. Des changements du pH du sol peuvent intervenir, à savoir son augmentation en milieu réducteur (consommation de protons) et sa diminution lors de la réoxydation (émission de protons) entrainant des modifications des propriétés des argiles et la dissolution/précipitation du fer notamment, avec pour conséquence la formation de zones indurées et imperméables, comme par exemple du grès induré appelé alios.
[2] Les solutés ioniques les plus courants sont les cations H+, Ca++, Mg++, Na+, K+, NH+4 et les anions : OH-, Cl -, HCO-3, NO-3, SO- -4, CO- - 3
Les propriétés physiques du sol, particulièrement importantes pour une culture, s’appréhendent à l’aide de deux notions fondamentales décrivant la phase solide : sa texture et sa structure.
La texture du sol est définie par la proportion des diverses tailles des éléments -grossiers (sables), fins (limons) et très fins (argiles)- constituant la phase solide (tableau 1). Ces éléments définissent ainsi sa composition granulométrique. La structure correspond au mode d’assemblage de ces éléments entre eux, c’est-à-dire à leur mode d’agrégation sous l’effet de liaisons physiques ou chimiques à différentes échelles.
mm |
< 0,002 |
0,002 à 0,02 |
0,02 à 0,05 |
0,05 à 0,2 |
0,2 à 2 |
2 à 20 |
> 20 |
mm |
< 2 |
2 à 20 |
20 à 50 |
50 à 200 |
200 à 2000 |
|
|
|
argiles |
limons fins |
limons grossiers |
sables fins |
sables grossiers |
graviers |
cailloux |
|
ARGILES |
LIMONS |
SABLES |
ELEMENTS GROSSIERS |
Tableau 1. Définition des fractions granulométriques du sol en fonction de la taille des éléments.
La structure d’un sol joue un rôle capital pour le fonctionnement et la croissance des plantes. D’une part une bonne structure est nécessaire à la pénétration des racines qui se développent dans le sol, préférentiellement dans les fissures et interstices entre les agrégats. D’autre part elle joue sur les déplacements de l’eau et des éléments fertilisants vers les racines : il s’agit d’une porosité inter agrégats permettant l’aération et le transfert de l’eau (pores > ~ 50 µm), sans quoi le développement racinaire peut être fortement altéré par une structure défavorable.
La texture du sol
La texture d’un sol est déterminée par la granulométrie des éléments de sa phase solide. Dans un sol, le seuil de 2 mm sert à séparer les cailloux et graviers, d’un diamètre supérieur, de la terre fine, d’un diamètre inférieur. Cette terre fine comporte à son tour trois classes texturales : les sables (entre 0,05 et 2 mm), les limons (entre 0,002 mm et 0,05 mm), et les argiles ces dernières constituant la fraction la plus fine du sol (taille inférieure à 0,002 mm soit 2 μm). Selon la proportion des trois classes texturales (sable, limon et argile), on parle de sols sableux, limoneux, ou argileux (tableau 2). On peut aussi parler de sols limono-argileux ou argilo-sableux, par exemple.
TYPE DE SOL |
ARGILE |
LIMON |
SABLE |
sols argileux |
³ 30% |
25-40% |
30- 45% |
sols limoneux |
30-40% |
³ 50% |
10- 20% |
sols sableux |
1-5 % |
10-15% |
> 70% |
sols calcaires : ³ 5% de calcaire, réparti dans l’ensemble des phases granulométriques |
|||
sols humifères : 15 à 20% de matière organique |
Tableau 2. Classification simplifiée des sols selon la texture. (D’après Dejou et Morizet, 1996).
Remarque : les argiles se définissent de deux façons selon qu’on les considère comme matériau textural ou comme minéral. C’est surtout en tant que matériau qu’elles intéressent les agronomes qui désignent par ce terme la fraction, largement non organique, la plus fine du sol. Les géologues et les pédologues ont montré que dans les sols les argiles sont des phyllosilicates, minéraux à structure lamellaire.
L’épaisseur des feuillets argileux élémentaires (≈ 1 nm), leur confère une très grande surface spécifique (m2 kg-1) par rapport aux autres fractions texturales (≈ 800 m2/g pour des mono-feuillets). Ces feuillets se superposent face à face pour constituer des particules dont la taille est généralement < 2 µm. La présence d’une charge électrique négative superficielle liée à leur structure cristalline leur permet de retenir une grande partie des éléments minéraux nécessaires à la croissance des plantes, soit par attraction électrostatique (Ca, K, Mg, Na… qui sont potentiellement mobiles et donc biodisponibles), soit par complexation (i.e. la formation d'un complexe chimique) pour P, ainsi que de la plupart des éléments en traces, potentiellement utiles ou toxiques et biodisponibles (préférentiellement mobiles dans les sols acides). Les argiles jouent également un rôle primordial dans les propriétés mécaniques du sol du fait des variations parfois considérables de leur volume en fonction de leur hydratation et de leur changement d’état sur le plan mécanique (suspension dans l’eau, matériau plastique, solide rigide). Il existe deux grands types d’argiles (on parle de familles) différant par leur structure cristalline (charge électrique superficielle permanente ou charge électrique dépendant essentiellement du pH) et donc par leurs propriétés physiques et chimiques.
La texture intervient beaucoup dans la perméabilité à l’eau et dans les phénomènes qui en dépendent et que nous détaillons plus loin : battance, hydromorphie, pouvoir de rétention de l’eau. Ce dernier dépend fortement de la surface spécifique, définie comme la surface totale des particules par unité de masse (m2 kg-1) ou de volume (m2 m-3) de sol. L’argile et la matière organique sont les principaux déterminants de cette surface spécifique qui peut varier de moins de 1 m2 par gramme pour du sable, à plusieurs centaines de m2 par gramme pour les argiles. Ainsi, la surface développée d’un kilogramme d’argile pourrait recouvrir l’équivalent de 10 à 70 ha (Tessier, 1994) ! Outre le fait que les composants finement divisés adsorbent des éléments indispensables aux plantes ou par complexation, on comprend qu’un sol argileux puisse retenir, par adsorption, et avec une plus forte énergie, des quantités d’eau bien supérieures à celles d’un sol sableux.
La matière organique est un autre constituant important de la phase solide. Elle est constituée d’organismes vivants (champignons, bactéries, algues, vers de terre, etc.), de matière morte provenant de la dégradation de ces organismes (l’humus ou les substances humiques) et enfin de substances organiques apportées par l’homme (amendements organiques, pesticides, etc.). Cette matière organique, bien que ne représentant, en masse, qu’un très faible pourcentage pondéral du sol (1 à 5% en général dans un sol cultivé, autour de 10% pour les sols noirs ou « tchernozioms » et 0% dans les sols des régions désertiques), joue un rôle essentiel dans la nutrition des plantes, dans les qualités physiques du sol (en particulier sa rétention pour l’eau), et dans les cycles du carbone et de l’azote, ainsi que dans la plupart des cycles des éléments indispensables à la plante (P, S, Mg, etc.). A masse égale, l’humus du sol est capable de retenir environ plus de dix fois plus d’eau et de cations que les argiles. C’est la raison pour laquelle son rôle est essentiel dans toute évaluation de l’évolution des propriétés des sols. On examinera plus particulièrement de ce point de vue, le cas des sols horticoles (voir § VI. C1).
La structure du sol
Les constituants solides du sol sont de taille et de forme très variables. Ils s’assemblent de façon plus ou moins organisée, en éléments structuraux (partie du sol non travaillée) ou mottes et en agrégats (partie travaillée). Plusieurs niveaux d’organisation peuvent être distingués. Leur description varie quelque peu selon qu’elle provient d’agronomes ou de pédologues, du fait des différences de point de vue. Schématiquement, en partant de l’échelle microscopique, on distingue différents niveaux d’échelles spatiales (Ruellan et Dosso, 1993) :
• Un premier ensemble de niveaux, allant des particules de minéraux argileux souvent associés à des débris organiques très fins ou à des composés macromoléculaires résultant de leur dégradation jusqu’aux agrégats de tailles croissantes composant les mottes (Fig. 2). Les dimensions couvertes par cet ensemble sont de l’ordre du micromètre (1 mm = 10-3 mm) à quelques cm, soit de 1 à 104 ou 105 fois plus !
Lame mince de sol avec en bleu les macropores, en noir les sables et limons quartzeux, en jaune-rouge le plasma argileux d’un sol (Hartmann et al., 1992) | En haut : observation au MEB montrant la présence de fissures microscopiques à l’échelle du micromètre (photo D. Tessier). En bas : observation au MET permettant de matérialiser les empilements de feuilles d’argile (1 nm). Photo D. Tessier. |
Figure 2. Micro-organisation du sol de la lame mince au microscope électronique à balayage (MEB) et à transmission (MET).
• Un second niveau, comprenant des assemblages de petits volumes de sol correspondant aux niveaux d’organisation élémentaires précédents (Fig. 3). Les dimensions correspondantes sont de l’ordre de quelques dizaines de cm. On parle par exemple d’assemblages structuraux. Lorsqu’ils sont caractérisés par une couleur grise tachée de rouille ils sont caractéristiques de sols où se produisent des excès d’eau permanents ou temporaires, mais répétés. En période humide on peut reconnaître ces conditions in situ à leur odeur de « vase ».
Figure 3. Organisation du sol à différentes échelles, d’après Brady et Weil, 1999.
• Un troisième niveau : l’horizon. On le met en évidence lorsque l’on creuse une fosse pédologique, en dégageant le profil du sol. La couleur et la structure du sol varient en fonction de la profondeur et selon des couches plus ou moins épaisses et parallèles à la surface du sol. Ces couches sont appelées horizons. Les niveaux précédents, agrégats, mottes et assemblages de petits volumes, se trouvent associés de façon plus ou moins spécifique dans un horizon. L’épaisseur d’un horizon varie de quelques cm à plusieurs mètres en épaisseur et de quelques m à quelques km d’extension horizontale. Les horizons sont le résultat de la pédogenèse[3], phénomène qui se développe sur le long terme par rapport à l’échelle humaine : les processus ayant conduit aux sols des climats tempérés actuels datent en effet de la fin de la dernière grande glaciation, soit environ 15 000 ans. Un sol naît, évolue et peut disparaître. Des historiens considèrent que le mauvais usage des sols ayant abouti à une très grande baisse de leur fertilité est à l’origine de la disparition de civilisations aussi prestigieuses que celle des Mayas ou des anciens Mésopotamiens (Calvet, 2003).
• Un quatrième niveau, celui des systèmes pédologiques, désigne des organisations entre horizons à l’échelle d’un relief (Fig. 3).
La structure d’un sol au sens des agronomes correspond principalement aux deux premières échelles spatiales. Elle se définit à partir de l’analyse des niveaux d’organisation, du mode d’assemblage des mottes, des différents types d’agrégats et de leurs propriétés. On parle de structure grenue ou en grains, grumeleuse, prismatique, selon la forme et les dimensions de ces agrégats. Dans cette construction, l’argile et l’humus, dotés de propriétés colloïdales[4], jouent un rôle majeur sur la cohésion du sol, qu’elle soit sous la forme d’une pression mécanique, vis-à-vis de l’eau de pluie ou de l’érosion éolienne par exemple.
La structure d’un sol peut être altérée par différents facteurs. La sensibilité d’un sol à cette altération (la stabilité structurale) varie beaucoup d’un sol à l’autre. Le facteur principal de dégradation de la structure d’un sol est l’eau de pluie qui agit de trois façons : éclatement des agrégats (c’est le délitement), déplacement par rejaillissement des fragments individualisés et lessivage. Lorsque le sol est à pH proche de la neutralité c’est essentiellement le cation Ca2+ et dans une moindre mesure Mg2+ qui assure la cohésion entre les particules fines du sol[5] via le complexe argilo-humique et ainsi la stabilité physique de la structure. L’effet « splash » des gouttes d’eau de pluie entraîne la dégradation structurale de la surface, appelée battance et se produit principalement lorsque le sol est pauvre en argile et en matières organiques, acide et/ou lorsqu’il contient du sodium (sols sodiques ou affectés par la salinité) : lors du ressuyage et de la dessiccation, il se forme une croûte superficielle continue et consistante, la croûte de battance (Lozet et Matthieu, 1986). Une terre battante est une terre qui se prend en masse sous l’action de l’eau des pluies ou des irrigations. La terre mélangée à l’eau prend une consistance boueuse et les éléments grossiers se séparent des plus fins, source d’érosion, qui, à la longue, appauvrit les sols. La sensibilité des sols aux processus de dégradation, appelée stabilité structurale, peut être évaluée en laboratoire, ou par des mesures de terrain (rugosité).
Outre la pluie, un facteur très important de dégradation de la structure est la présence, en quantité importante, d’ions Na+, et même une forte proportion de Mg2+ comme agent dispersant[6]. Cette instabilité est d’autant plus grande que le taux de sodium échangeable (SAR) retenu par les argiles se rapproche d’environ 15% de la capacité d’échange en cations. Son principal effet est de provoquer le gonflement et induire une dispersion des particules argileuses (Fig. 4). C’est l’un des effets importants de la sodicité/salinité des sols.
Figure 4. Effet de la sodicité sur l’assemblage des particules d’argiles (D. Tessier 1984).
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Argile sodique, les feuillets sont séparés les uns des autres et se dispersent en présence de sodium « état dispersé »
Argile calcique, les feuillets sont regroupés en particules plus épaisses « état floculé »
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Soumise ou non à ces processus de dégradation, la structure du sol évolue dans le temps et dans l’espace, d’autant plus qu’on se situe près de la surface. De multiples causes interviennent dans cette évolution, comme le travail du sol, les facteurs climatiques et biologiques (racines, faune et flore du sol) et bien sûr l’humidité. Piétinement et passages d’engins entraînent souvent un compactage du sol. Par l’accroissement de la teneur en eau, il augmente les risques d’hypoxie. Quand des sols très argileux s’humectent, le gonflement résulte de l’augmentation de la porosité texturale, en grande partie aux dépens de la porosité structurale (cf. ci-dessous) qui elle, diminue beaucoup.
[3] Pédogénèse : ensemble des processus aboutissant à la formation d’un sol
[4] Propriétés colloïdales : propriétés des « colloïdes ». Les colloïdes sont des substances qui forment avec l’eau des suspensions de particules donnant lieu à des fausses solutions c’est-à-dire des solutions qui n’ont pas du tout les propriétés des solutions diluées « classiques » (voir Chap. I.2).
[5] La floculation est le phénomène physico-chimique qui aboutit à grouper les éléments du sol en suspension lesquels s'agrègent les uns aux autres et finissent par sédimenter.
[6] C’est-à-dire qui favorise la dispersion des éléments fins du sol
La caractérisation de la structure d’un échantillon de sol (prélevé avec le moins de déformation possible) consiste d’abord à déterminer la masse et le volume des différentes phases en présence (liquide, solide ou gazeuse) (Fig. 5).
Figure 5. Grandeurs massiques et volumiques caractérisant les trois phases présentes dans un sol
On en déduit ensuite un certain nombre de caractéristiques importantes :
Parmi les différentes grandeurs physiques caractérisant un échantillon de sol, la masse volumique est une des plus courantes. Celle-ci peut s’exprimer de plusieurs façons dont les deux principales sont :
¡ La masse volumique[7] apparente ρa (ou masse volumique apparente sèche), est le rapport de la masse des éléments solides (sol totalement sec) au volume apparent du sol, c’est-à-dire in situ, volume des vides compris :
équation 1
ρap = masse volumique apparente (kg·m-3)
Ms = masse du sol sec (kg)
VSap = volume apparent du sol en place (m3)
Exemples : sols sableux : 1400 < ρap < 1700 kg·m-3 ; sols argileux : 1000 < ρap < 1500 kg·m-3 ; sols tourbeux : 300 < ρap < 1000 kg·m-3.
Remarque : la densité apparente, dap décrit la même notion. Elle est définie par :
dap = Ms / (rw.VSap) équation 1bis
où rw désigne la masse volumique de l’eau (1000 kg m-3). La densité apparente est donc le rapport entre la masse d’un certain volume de sol en place et la masse d’eau qui occuperait le même volume. C’est une grandeur sans dimension qui a la même valeur numérique que ρap et qui prend son intérêt dans les calculs de bilan hydrique.
¡ La masse volumique réelle ρr (ou masse volumique de la phase solide), est le rapport de la masse du sol sec Ms, au volume des particules du sol uniquement, Vs.
ρr = Ms / Vs équation 2
avec :
ρr = masse volumique réelle (kg·m-3)
Ms = masse du sol sec (kg)
Vs = volume de la phase solide de l’échantillon de sol (m3)
Comme Vs < VSap, cette masse volumique réelle, ρr, est supérieure à la précédente. Etant donné la structure cristalline des minéraux des sols (essentiellement des assemblages d’anions oxygène), elle est de ~2650 kg·m-3 pour les (sols) minéraux ne contenant que des éléments légers : Si, Al et Mg (sables quartzeux, argiles non ferrifères), ~2700 kg·m-3 pour les carbonates (CaCO3) et atteint des valeurs de ~4800 kg.m-3 pour des oxydes de fer purs (Tessier, 1984). Dans le sol, la teneur en fer, qu’elle soit sous la forme d’oxydes ou incluse dans les argiles ou autres minéraux, détermine donc largement la valeur de la masse volumique réelle de la partie minérale des sols. Pour les sols organiques comme les tourbes, on atteint 1400 à 2000 kg.m-3 en fonction de la présence plus ou moins importante de la fraction minérale et de sa composition (Musy et Soutter, 1991).
[7] Il ne pas confondre masse volumique et densité. La densité est le rapport entre deux masses de même volume, souvent celui d’une substance sur celui de l’eau ; c’est donc un nombre sans dimension, contrairement à la masse volumique qui s’exprime en kg·m-3.
Le sol est un milieu poreux. L’arrangement des éléments solides y laisse place à de multiples trous, fissures, pores dont l’ensemble constitue l’espace poral du sol. L’eau et les gaz se partagent cet espace. La caractérisation et le suivi de l’évolution de l’espace poral dans le temps, notamment en fonction du travail du sol sont d’une grande importance agronomique.
Les dimensions et la distribution des pores dans le sol constituent une caractéristique importante d’un sol pour les plantes. La porosité recouvre des vides de dimensions extrêmement différentes entraînant vis-à-vis de l’eau des propriétés de rétention très variables (Tableau 3). La caractérisation de la porosité repose soit sur un critère dimensionnel, soit sur l’origine texturale ou structurale des pores, soit sur un critère de rétention de l’eau. Il existe plusieurs expressions de la porosité ; seules les plus courantes sont présentées. Pour une information plus complète voir par exemple Musy et Soutter (1991) ou Calvet (2003).
¡ La porosité totale, Pt
Pour un échantillon de sol donné (agrégat, motte, bloc de terre, portion d’horizon), c’est le rapport entre le volume de l’espace poral et le volume total du sol en place.
Pt = Vpores / VSap = Vpores / (Vpores+Vsol ) équation 3
avec : Vpores = volume total des pores
Vsol = volume de la phase solide
VSap = volume du sol en place
La porosité totale est un nombre sans dimensions. Exprimée en pourcentage, cette porosité varie pour les sols les plus courants entre 30 et 60% alors que pour les tourbes elle peut atteindre près de 90% (Musy et Soutter, 1991). La porosité totale est fonction à la fois de la texture et de la structure, cette dernière intervenant par le volume des vides autour des éléments granulométriques.
Dimension des pores |
Comportement des pores vis-à-vis de l’eau |
10 mm à 1 mm
|
· conduisent l’eau dans les sols saturés · si le potentiel matriciel du sol Ym descend en-dessous de -0,3 kPa, ils sont vides et ne peuvent donc plus servir au transfert de l’eau |
1 mm à 30 mm |
· conduisent l’eau tant que le potentiel du sol est > - 10kPa, pour des valeurs inférieures, ils sont vides |
30 mm à 0,2 mm |
· ces pores restent pleins d’eau tant que Ym > - 1,5 MPa ; · pour des valeurs inférieures, ils sont vides |
1 à 200 nm
|
· eau fortement retenue entre les feuillets des minéraux argileux · participent au gonflement intra-particulaire |
Tableau 3. Comportement des pores de différentes tailles vis-à-vis de l’eau. Un micron (mm) vaut 10-6 m et un nanomètre (nm) vaut 10-9 m. (D’après Calvet, 2003).
¡ Macro et microporosités
La macroporosité correspond dans le sol à celle qui échappe à la rétention capillaire après ressuyage. Comme le montrent les courbes de rétention de l’eau sur des sols non remaniés, on estime qu’elle concerne des pores de l’ordre de 50 µm, i.e. les fissures, les pores d’origine biologique, notamment ceux engendrés par les vers de terre ou les radicelles des plantes. (Bruand et Prost (1987), Quentin et al., 2001).
¡ Indice des vides, e
L’indice des vides, e, est une expression de l’abondance relative des pores dans un milieu poreux. Il s’agit du rapport entre le volume de l’espace poral Vpores et le volume des particules solides constitutives du matériau :
e = Vpores / Vsolide équation 4
Pour les sols les plus courants l’indice des vides varie de 0,3 à 2,0. Il existe une relation entre la porosité totale et l’indice des vides :
Pt = e/(e+1) ou e= Pt / (1- Pt ) équation 5
Pt augmente avec e, mais moins vite que lui et tout en restant <1.
L’indice des vides présente donc une gamme de variation beaucoup plus grande que la porosité totale qui varie de 30 à 60% comme on l’a vu ci-dessus.
L’indice des vides est couramment utilisé en mécanique des sols ; il fournit pour un matériau donné, la possibilité d’additionner les volumes relatifs de différentes catégories de pores. Ces volumes sont en effet rapportés au volume massique du solide, Vsolide, lequel est indépendant des déformations du matériau. Ce n’est pas le cas de la porosité totale (équation 3) dans laquelle le volume des pores est rapporté au volume total du sol.
¡ Porosité texturale et porosité structurale
L’espace poral d’un bloc de terre ou d’une motte peut être divisé, d’une façon approximative, en deux parties, selon son origine : i) les pores de dimensions proches de celles des particules constitutives du sol. Ils sont donc déterminés par sa texture, d’où la qualification de porosité texturale ; ii) les pores résultant de l’assemblage des agrégats et des mottes, des fissures produites par la dessiccation et l’humidification des sols gonflants, des galeries et cavités résultant de l’activité de la faune du sol et des racines. Ils constituent un volume de pores supplémentaire, généralement de plus grandes dimensions, en lien avec la structure du sol, d’où son appellation de porosité structurale. On trouvera dans Stengel (1979) une analyse détaillée de ces porosités texturale et structurale et de leur utilité pour la caractérisation physique d’un sol.
La porosité totale est donc fonction à la fois de la texture et de la structure. En l’absence d’intervention humaine, la structure est le résultat de l’action des facteurs climatiques et biologiques sur un sol donné. Mais si le sol est travaillé, les modifications apportées sont, pour les horizons concernés, le facteur le plus important de variation de la porosité du sol (Fig. 6).
Pour ce qui concerne la porosité texturale, celle dernière peut varier en fonction de plusieurs facteurs. Le premier est lié à l’origine du sol (Jamagne, 1973). C’est le cas notamment des sols sur lœss du Nord de la France. Si le lœss contient au moment de son dépôt environ 30% de carbonate de calcium, avec le temps et du fait de leur dissolution par les eaux de pluies, les carbonates ont été progressivement dissous. Il en résulte une porosité secondaire, texturale, importante, qui subsiste notamment dans les sols filtrants reposant sur de la craie ou du calcaire et dont le pH est élevé (en Beauce par exemple ou les sols betteraviers du Nord de la France). Ces sols sont par essence peu sensibles au tassement à l’échelle d’un assemblage de grains peu compact. Aujourd’hui la question est de savoir si leur dégradation peut se produire à ce niveau compte tenu des pratiques culturales, de la mécanisation et de gestion de la fertilisation, ainsi que des matières organiques. A cette porosité texturale se superpose la porosité structurale qui est un critère synthétique d’appréciation de la structure d’un sol destiné à la culture : meilleure est celle-ci, meilleure sera celle-là ! Les sols à structure stable ont une porosité totale élevée, de l’ordre de 60 à 70%. Les sols déstructurés, fortement tassés, ont une porosité de l’ordre de 40%. La circulation de l’air et de l’eau s’y font mal.
Figure 6A. Gonflement d’un sol très argileux en fonction de son humidité volumique Hv. Certaines argiles augmentent considérablement de volume quand elles s’humidifient. Dans ce cas c’est la porosité texturale qui s’accroît beaucoup alors que la porosité structurale a tendance à diminuer.
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Figure 6B. Effet des pratiques culturales sur la porosité structurale d’un sol agricole. Pour un sol fraîchement travaillé et non tassé, la porosité texturale est maximale. Etat 2 : après quelques mois de tassement spontané (sans roulage) la porosité structurale a diminué de moitié. Etat 3 : effet du roulage. Etat 4 : après semis direct, le passage d’un tracteur avec semoir accentue encore le tassement. On remarquera cependant que la structure interne des agrégats n’a apparemment pas été touchée par ces traitements puisque la porosité intra-agrégat semble ne pas avoir varié. (D’après Stengel, 1990). |
En sol très argileux, l’augmentation d’humidité entraîne une variation importante de la porosité texturale (Fig. 6A)[8]. Piétinement et passages d’engins agricoles provoquent, au contraire, un compactage du sol, réduisant fortement la porosité structurale (Fig. 6B), accroissant ainsi les risques d’hypoxie, mais qui peut potentiellement se régénérer du fait du gonflement retrait (Michel et al. 2000). Cependant, le compactage est particulièrement à éviter dans la mise en place des volumes de sol reconstitués qui souvent accueillent les arbres citadins. Dans les forêts, le compactage dû au passage des engins forestiers sur certains types de sols humides est aussi un facteur limitant le développement des semis.
[8] C’est principalement du fait de cette augmentation de volume avec la teneur en eau que la porosité d’un sol ne peut être correctement décrite par les lois des milieux granulaires (Chenu et Bruand, 1998).